Stratification architecturale de Porto # 1

La stratification architecturale de Porto
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Porto et le fouillis architectural ?

Stratification architecturale ou fouillis sans nom ? On dit que Rouen est la ville aux cent clochers. Porto, dans cette optique, ne se débrouille pas mal non plus. Mais plus que, dans le centre ancien, cette omniprésence des églises — baroques pour la plupart — c’est le fouillis architectural qui étonne. Y compris dans l’aire classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO (en 1996).

Pourquoi ?

Sans doute parce que la ville a connu des périodes de prospérité économique et industrielle tout au long de son histoire, de grandes invasions qui ont influencé sa culture, et de lourdes périodes de crise. Et que ceci rejaillit directement sur sa stratification architecturale.

Si certains objets sont clairement identifiés, notamment concernant le baroque — quoique celui-ci, au Portugal, diffère notablement du baroque espagnol « churrigueresque », d’autres surprennent. Car dans ce fouillis (organisé), on découvre une unité malgré la diversité des hauteurs, des styles, des épannelages, des éléments de décoration.

L’unité de lecture, à Porto, c’est la rue. Nous ne sommes pas ici dans des logiques d’îlots fermés (Barcelone et ses « barrios ») ou semi-ouverts (Paris et ses quartiers haussmanniens). Nous sommes dans une ville-rue tentaculaire — au modèle polycentrique — qui se retrouve particulièrement, dans les rues historiques, dans l’alternance des fonctions de porte en porte, mêlant habitat, commerces, religion, administration, loisirs au fil de la rue. Le tissu est composé de fronts de routes laissant derrière eux des vides dont les habitants se sont approprié les fonctions selon les époques ou les besoins, pour en faire des jardins d’agrément, des potagers… ou des extensions à leurs propres habitations.

Ce tissu urbain manque donc naturellement d’unité puisqu’il s’est stratifié au fil du temps, dans une optique de reconstruction de la ville sur elle-même.

Stratification et trame urbaine à Porto
Stratification et trame urbaine à Porto

Dès lors, les fronts de rue sont hétéroclites, par force, montrant bien cette stratification architecturale.

Un fouillis architectural à Porto ?
Un fouillis architectural à Porto ?

Mais en y regardant de plus près, on détermine plusieurs lignes de force architecturales propres au Portugal, mais aussi à la ville.

Les premiers temps de l’architecture à Porto et le baroque du nord

Bien sûr, autour de Sé do Porto et du Paço Episcopal, on lit la ville très ancienne ceinte dans ses murailles Fernandina. On y constate la fonction de forteresse du XIIe siècle et les fondations romanes.

Muraille Fernandina
Muraille Fernandina et statue de Vasco de Gama

On peut aussi y croiser du gothique, surtout concernant les cloîtres à arcs en plein cintre, même si João Ier mène des rénovations vers le gothique flamboyant (notamment avec l’architecte David Huguet, autour de 1400).

Mais comme partout, ces anciennes traces sont remaniées aux XVIIe et XVIIIe siècles pour entrer de plain-pied dans le baroque portugais.

Pourquoi d’ailleurs cette prééminence du baroque non seulement pour les édifices religieux, mais aussi pour les constructions publiques ?

Ce courant venu d’Espagne symbolisait, lors de la grande époque de prospérité de Porto, le résultat des richesses économiques issues de la découverte de mines d’or, de diamant, de métaux rares et d’épices qui l’étaient tout autant avec la conquête du Brésil et des pays d’Asie.  Mais le Portugal, et particulièrement Porto, restèrent attachés à leurs propres style et culture et, en toute indépendance, freinèrent des quatre fers quant à l’imitation d’autres styles venus d’ailleurs. Ainsi, on s’attacha à se nourrir des richesses culturelles des autres pays (l’Espagne, l’Angleterre, la France, l’Allemagne) tout en réinterprétant les codes architecturaux d’une manière locale. On réinterpréta également la culture mauresque en intégrant les azulejos au baroquisme.

Baroquisme et azulejos
Baroquisme et azulejos

Une autre influence réside dans l’art Manuélin, qui est également une réinterprétation du gothique reflétant un syncrétisme culturel où on mélange christianisme, coquillages, cordages, fantaisie, héraldique tout en évitant le classicisme de la Renaissance. Les azulejos y sont également associés.

Ce baroquisme se retrouve dans de très nombreux détails, de la plus humble demeure à l’église la plus somptueuse : voûtes, coupoles — parfois ovales — églises à motifs de temples romains, plafonds de bois sculptés… même la sobriété de l’architecture militaire au style chão (humble) sera renforcée de petits habillages spécifiques dans les balustres, les encorbellements, les huisseries…

Iglesia do Bom Jesús de Matosinhos
Iglesia do Bom Jesús de Matosinhos – la plus ancienne sculpture du Christ en bois du Portugal, XIVe siècle

Depuis le roi João V, l’Église se veut militante et, pour reconquérir les âmes, diffuse son architecture religieuse partout dans un style parlant autant aux savants qu’au peuple.

Le baroque revu et corrigé à Porto
Le baroque revu et corrigé à Porto

Voilà sans doute l’unité que nous recherchions dans le « fouillis » architectural que nous voyions sans y prêter plus d’attention.

Particularité de Porto : la stratification architecturale des styles

On trouve à Porto des particularités issues, notamment, de l’Italien Nasoni qui combine l’architecture locale et son influence. Il crée par exemple les Clérigos, qui englobent une église, un secrétariat, une infirmerie, une tour-sculpture reliée par des galeries internes. Leurs façades rappellent de somptueux décors de théâtre.

Le trait commun au baroque du nord portugais reste l’utilisation de l’or (qui provient du Brésil), offrant un style qui synthétise la beauté du cosmos.

Mais après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, lors de la reconstruction de la ville, on refait les édifices d’une manière plus sobre sous la houlette du ministre Pombal.

Ce nouveau style, toujours intégré dans le baroquisme (dit « baroque pombalin »), sonne pour Porto la fin des surcharges et, surtout, le tout début de la modernité. D’autant que les Anglais offrent également une nouvelle influence (dite « palladienne »), qu’on découvre notamment à la place Ribeira de Porto.

Praça da Ribeira (en 2016)
Praça da Ribeira (en 2016)

 

Style pombalin à Porto
Style pombalin à Porto

Dès lors, Porto est une mosaïque de tous ces styles qui, jusqu’à la rupture avec l’Art nouveau (très utilisé notamment en architecture industrielle ou commerciale à partir du début XXe), perdure dans les fronts de rue.

Style Art nouveau à Porto
Style Art nouveau à Porto

Les maisons sont aujourd’hui un peu fanées, décrépites, parfois abandonnées. Les « dents creuses » sont nombreuses. Mais des familles y vivent souvent depuis des générations et n’ont pas toujours eu les moyens de maintenir des architectures centenaires — d’autant qu’un certain nombre d’entre elles ont dû partir, lors de la sombre époque de Salazar, des guerres coloniales ou encore à cause des crises économiques.

Du granite et de l’étalement

Porto fait la place belle au granite, et, tour de force, au granite sculpté. Cette pierre lui donne un caractère propre différent des villes du sud comme Lisbonne. Dès lors, dans le vieux centre, la ville — humide et venteuse, souvent — est conçue pour qu’on vive à l’intérieur, et non à l’extérieur. Ainsi, il n’est pas difficile de comprendre que la conformation urbaine, noyée dans le baroque — puis dans la modernité pratiquement sans réelle transition — ressemble à une ville du nord de l’Europe plus qu’à une ville andalouse au style architectural (et social) mauresque. Porto est un immense patchwork, où les styles médiévaux, gothiques, baroques, arts déco ou d’avant-garde cohabitent dans les mêmes fronts de rue.

Fronts de rue en mosaïques de styles architecturaux à Porto
Fronts de rue en mosaïques de styles architecturaux à Porto

Cette architecture globale spécifique est totalement liée à l’histoire complexe de la ville, à ses hauts et à ses bas. Cette stratification architecturale a toujours échappé aux tremblements de terre et aux incendies. La ville est donc patinée, mais intacte. Et, dans cette cité polycentrique, plus on s’éloigne du centre, et plus on se rapproche de l’architecture actuelle en passant par l’Art nouveau, donc, puis l’Art déco, puis enfin le modernisme avant d’atteindre l’architecture contemporaine.

Pour une vision des choses « orientée », lire cet article du Monde paru le 1/02/2008

 

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