La stratification architecturale de Porto : du cœur aux franges, de 1900 au XXIe siècle
La question du modernisme architectural se pose réellement lorsqu’on passe dans les rues de Porto. Elle fait encore ressortir cet effet de stratification architecturale en intégrant, comme toujours, dans les fronts de rue, des styles divers et variés sans aucune transition.
Comme il a été dit ici, la fin du XIXe siècle et le début du XXe ont été un grand tournant, autant technologique que commercial et… politique.
Certes, un architecte emblématique comme José Marquês da Silva, ayant fait ses études à Paris, avait influencé l’architecture par sa lecture de la Renaissance à la française, ce qui se ressent dans certaines rues de Porto et même dans des édifices iconiques comme la gare ferroviaire de São Bento.
Certes encore, les Arts nouveau et déco avaient fait leur apparition dans l’architecture industrielle, hors du centre.
Et puis l’influence de l’ingénierie française des architectures métallique n’est plus à démontrer, à Porto, avec Eiffel lui-même ou ses « disciples ».
Mais jusqu’alors, comme depuis toujours, Porto revisite l’architecture d’influences très nombreuses et multiples selon sa propre culture, sans avoir réellement de courant bien à elle… Jusque dans les années 50.
La révolution de l’École de Porto dans les années 50
Il est inutile de le cacher plus longtemps, les deux architectes portugais ayant obtenu le prestigieux prix Pritzker sont Portuans : il s’agit d’Álvaro Siza Vieira en 1992 et de son disciple, Eduardo Souto de Moura, plus récemment, en 2011. Ce sont là les deux figures emblématiques de l’École de Porto.
Plus loin, on notera que Porto, Capitale de la Culture européenne en 2001, a aussi attiré de grands noms de l’architecture contemporaine comme Rem Koolhaas pour sa Cité de la Musique par exemple.
Álvaro Siza a suivi ses études à l’École des Beaux-Arts de Porto et a commencé son œuvre sous Salazar, en opposition avec la dictature. Lors de la Révolution des Œillets, en 1974, il décide de créer nombre de logements pour ses concitoyens (par exemple les logements sociaux de Bouça) pour leur redonner un « pouvoir décisionnel ».
Surtout, Álvaro Siza cisèle un langage architectural propre qui va se répercuter sur l’École de Porto. Au lieu de faire table rase, il ancre ses créations dans le tissu urbain en assumant la stratification architecturale en fronts de rues, selon une démarche d’acupuncture que ne renierait pas Jean Nouvel.
Milieu urbain, cadre naturel, il cherche toujours l’intégration, comme le montre la fameuse piscine d’eau de mer de Matosinhos.
Rationalisme, esthétique, respect des matériaux locaux, de la lumière changeante, du cadrage, du rythme, du parcours jusqu’à et autour de l’objet deviennent des fondamentaux du Porto contemporain.
Bien évidemment, la métropole n’échappe guère au fonctionnalisme brutal, voire brutaliste, d’autant que sous la dictature, les « impératifs » de Salazar ne laissent guère de marge à l’imaginaire.
Mais l’École de Porto se met surtout à la place des habitants, qui deviennent des usagers — ce qui est une réponse directe d’opposition à la dictature. Et ce qui implique une vision du monde aujourd’hui très forte, autant dans le centre que dans les franges, qui participe également de la stratification architecturale tout en l’ouvrant sur le monde.
Ainsi, le métro de Porto — qui rappelle en fait le « Prémétro » de Bruxelles, n’est pas enfoui mais largement aérien, intégré à la rue. Les stations sont claires, ouvertes, et quatorze d’entre elles ont été conçues par Souto de Moura, une par Siza. Chacune est différente, mais toutes forment, ensemble, une cohérence… à l’image de la stratification architecturale de la ville.
De la même manière, l’avenida dos Aliados, le quartier bancaire de Porto (son « avenue Foch »), structurante et ouverte en 1919 par Barry Parker, a été rénovée en 2006 par Siza et Souto de Moura en profitant de la mise en place du métro. Le choix a été de libérer l’espace — à l’exception des arbres d’alignement — pour en faire un espace public démesuré, minéral, ouvert.
L’architecture contemporaine de Porto : de la création d’un paysage historique à l’hétérodoxie assumée
Dès lors, Porto assume cette résilience consistant à se reconstruire sur elle-même en assumant ce qu’elle est depuis toujours, une stratification architecturale. On réhabilite les espaces publics, les immeubles municipaux, on sauvegarde le patrimoine hérité, on maintient la population résidente actuelle tout en restructurant les liaisons, les connexions, sans changer la trame initiale.
On protège une intégrité et une authenticité locales en respectant les systèmes constructifs et la variété des typologies. Par exemple si le bois est au centre des techniques séculaires de construction, on utilise du bois pour recréer la ville. Et si la trame initiale comporte des maisons bourgeoises du XVIe siècle, des maisons à façades lisses du XVIIIe siècle et des maisons revêtues d’azulejos du XIXe siècle, on intègre ces typologies dans tout le processus de transformation.
Bref, on crée la rupture dans la continuité. Porto s’ouvre à un nouvel espace-temps contemporain, tout en assumant son statut de ville riche et pauvre, qui a créé avec de mauvais bois les navires qui ont conquis le monde.
Porto, une ville à côté des courants
Porto, comme le Portugal, existe à côté des courants. L’École de Porto ne proclame pas autre chose, ni même l’architecture contemporaine de la ville. Il n’y a pas réellement d’idéologie en la matière, sinon celle — proclamée et assumée — de l’hétérodoxie qui ne réfute pas, mais qui s’ajoute au mouvement moderne. Elle est pragmatique, minimale en refusant théories et dogmes. « La » maison portugaise n’existe pas, mais il en existe des types comme le dit Tavôra en 1960.
La marginalité de Porto est devenue une École qui admet et qui s’appuie sur le chaos, les émergences, les fragments, les dialogues tranchés avec le patrimoine. Ce qui produit des objets extraordinaires, mais aussi des paysages, parfois, d’abandon voire de dévastation.
Porto est donc, en 2016, en pleine transition sans pouvoir pour autant décrire vers quoi.
Comme le proclame Joào Alvaro Rocha, « Nous devons quant à nous essayer d’industrialiser notre capacité et notre tradition artisanales. Car ce qui importe, l’instant décisif, c’est la façon dont on manipule le matériau. S’il existe une manière portugaise — et Siza est exemplaire à ce titre — c’est d’incorporer, d’utiliser tout ce qui se présente, de nous adapter avec nos arguments aux nouvelles conditions de production ».
Porto recherche la possibilité d’être contemporaine avec la tradition. Le high-tech ne correspond pas à cette culture qui reste métissée, où le local existe bien au-delà des frontières pour un peuple qui a émigré partout dans le monde. De fait, pour Porto, c’est bien l’architecture d’aujourd’hui qui est appelée, un jour, à devenir l’une des strates supplémentaires de la ville ancienne, ce qui appelle à une architecture « naturelle », telle qu’elle l’a toujours été ici, hors des théories en assumant ses propres particularités de A à Z.
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