La métropole de Porto : une utopie ?

L'urbanisme de Porto : un polycentrisme étalé
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Une métropole de Porto difficile à lire

Nous avons vu que Porto s’est structurée autour de son, puis de ses ports, tout comme, au XIXe siècle, autour du rail. Dans ce sens, elle aurait pu perpétuer un développement de traditionnelle ville-rue — son centre très contraint d’un point de vue géomorphologique mis à part. Mais non, la lecture globale de la métropole de Porto ne laisse pas entrevoir ces lignes de force attendues.

Pour s’en convaincre, une simple image satellite mettant en exergue les zones urbanisées le montre : pour le dire simplement, l’unité urbaine est pratiquement illisible, et l’aire urbaine s’étend à des kilomètres à la ronde, sur toute la région du Nord.

Photo satellite de Porto d'après Google Earth en fausses couleurs (en orange, les zones urbanisées)
Photo satellite de Porto d’après Google Earth en fausses couleurs (en orange, les zones urbanisées) – le nord est à gauche de la carte

La métropole de Porto : un étalement urbain dicté par l’automobile jusqu’à la Révolution des Œillets (1974), puis… par rien

Le premier plan directeur de la région urbaine de Porto date de 1954, en plein essor de l’automobile. Il est complété, en 1964, par un Français, un certain Auzuelle. Cependant, c’est le 25 avril 1974, au retour de la démocratie, que la donne change drastiquement.

Le peuple se réapproprie l’espace et occupe des terrains et même des maisons inhabitées. Une pression immobilière se fait très forte, à tel point que les terrains agricoles se font grignoter, cédés bien volontiers par les communes voisines.

Dès lors, le plan de « ville-rue » disparaît sous de la promotion d’entrepreneurs qui ne tiennent compte d’aucune vue d’ensemble, sans planification territoriale. Cependant, la voiture reste au centre des préoccupations, puisqu’elle s’est dans le même temps elle aussi démocratisée. Comme partout en Europe, les centres commerciaux de périphérie fleurissent, ce qui change les dynamiques commerciales séculaires au profit de pôles extérieurs.

Mais il existe ici un mystère qui ne touche pas les autres métropoles : il n’y a pas de mouvement pendulaire de trajets domicile-travail ou centre-périphérie. L’urbanisation se développe selon une logique propre et complexe… qui ne suit donc pas nécessairement les axes de communication, en taches d’huile.

Au nord, la tache urbaine nocturne de Porto montre un étalement difficile à lire (photo Nasa).
Au nord, la tache urbaine nocturne de Porto montre un étalement difficile à lire (photo Nasa).

Le mystère de l’étalement de la métropole de Porto

L’aire morphologique urbaine de porto s’étale sur 470 km². Bien évidemment, le réseau de voirie très dense explique l’expansion urbaine, mais non sa forme. De fait, la grande partie des aires résidentielles continues est localisée dans les axes des routes nationales, tout comme l’industrie et le commerce : ces itinéraires contribuent à l’émergence de nouvelles aires industrielles et/ou commerciales, et puis résidentielles autour de ces aires. Ce qui provoque un éloignement progressif en urbanisation extensive.

Pour autant, il n’y a pas de relation directe entre le réseau de voirie principal et la structure de l’aire morphologique, qui a totalement délaissé, par exemple, le réseau autoroutier.

De fait, la population sort des centralités trop monofonctionnelles (habitat/industrie, comme dans le centre de Porto) pour gagner des pôles relais polyfonctionnels de grande diversité. Or, ces pôles extérieurs sont fort peu éloignés les uns des autres : les axes autoroutiers induisent une prédominance de l’usage résidentiel avec une très grande diversité d’usages autour des nœuds d’interconnexion.

C’est sur le réseau viaire secondaire très dense qu’il faut se pencher pour comprendre le mode d’étalement jusqu’au littoral. La forme d’expansion de Porto autour de ce réseau devient alors lisible, comme étant concentrique et extensif, du littoral vers l’intérieur des terres.

Différents axes montrent un effet de rocade induisant une déconcentration des activités vers de nouveaux axes périphériques, tout comme l’aéroport.

L’expansion de la métropole de Porto : une influence majeure des réseaux viaires secondaires au détriment des réseaux primaires

Dès lors, pour résumer, les routes nationales et le réseau ferré induisent une structure continue/discontinue et linéaire, dans toute l’aire urbaine, y compris dans les franges les plus éloignées.

D’ailleurs, la densité de population de la périphérie est haute, plus qu’à Lisbonne, et la périphérie est très artificialisée, notamment du fait d’une prédominance de logements unifamiliaux (ce qui est dû, notamment, à l’émigration à l’extérieur du pays). Dès lors, la population est distribuée de manière assez homogène entre centre et périphérie, qui offre une continuité nette de type d’urbanisation et de densité.

Cela signifie, en creux, que les limites métropolitaines de Porto sont beaucoup plus éloignées que l’unité urbaine de 1,8 million d’habitants habituellement décrite dans les atlas et autres articles, pour atteindre au-delà des 3 millions d’habitants.

La métropole de Porto : encore un effet mosaïque

Dans l’aire urbaine de Porto, l’utilisation des sols se conçoit à la manière d’une mosaïque de fonctions en continuité, de manière homogène dans l’hétérogénéité… Ce paradoxe est difficile à décrire, mais très lisible sur le terrain : à Porto, il n’y a pas de fragmentation du bâti, mais beaucoup de terrains vagues.

Usage des sols dans la métropole de Porto en 2003 - d'après Patricia Abrantes
Usage des sols dans la métropole de Porto en 2003 — d’après Patricia Abrantes

Ainsi, l’aire métropolitaine s’est étendue le long du littoral puis vers l’intérieur des terres, sur une structure de peuplement et de circulation dispersés où les usages urbains et non urbains se mélangent. Cette dissémination pose la question d’un véritable polycentrisme.

Dans la métropole cohabitent deux pôles structurants, l’aire de Porto et l’aire de porto-Vila do Conde/Póvoa do Varzim qui sont contiguës. Ce polycentrisme de fait induit plusieurs sous-centres formant finalement un centre unique — et donc homogène… — entraînant un développement du réseau viaire secondaire dû à cette contiguïté.

Cette démarche endémique et morphologique favorise mécaniquement l’étalement urbain dense dans une globalité polyfonctionnelle résidences/commerces/industrie/agriculture — sans grande hiérarchie entre le centre et les franges.

Evolution des espaces artificialisés dans l'aire métropolitaine de Porto, entre 1990 et 2003 - par Patricia Abrantes
Évolution des espaces artificialisés dans l’aire métropolitaine de Porto, entre 1990 et 2003 — par Patricia Abrantes

Cette morphologie pose de nombreux soucis de limitation de l’aire métropolitaine — sur le terrain, l’urbanisation est pratiquement continue jusqu’à Chaves, à la frontière espagnole à 195 km de là, où chaque ville moyenne fait figure de pôle relais et s’étale en tache d’huile. Il n’y a pas de réelle rupture entre ville et campagne, sinon dans les zones inconstructibles (montagnes, vallées trop pentues). Seule une délimitation à caractère fonctionnel semble aujourd’hui être pertinente pour saisir les questions d’étalement urbain et la polarisation urbaine et métropolitaine de Porto.

Porto : un rôle métropolitain contesté ?

Dès lors, cette conformation pose problème : délimitation malaisée, système urbain hypercomplexe intégrant un nombre croissant de villes, une couronne concurrençant le centre d’un point de vue fonctionnel et démographique… Une morphologie très étendue, dispersée, contiguë vers le nord littoral, un déphasage fort entre l’institutionnel et le territorial : tout ceci va à l’encontre de la définition d’une métropole de Porto qui permettrait des interconnexions rationnelles et des distributions fonctionnelles lisibles et donc, par force, aménageables et pouvant être planifiées.

La suburbanisation puis la périurbanisation ne sont donc pas consolidées et le centre métropolitain n’a pas su concentrer de manière assez forte ses fonctions métropolitaines à haute valeur ajoutée, jouant son rôle de polarisation. Pour résumer, la périphérie de Porto est trop indépendante de son centre, cet effet mosaïque étant préjudiciable au renforcement des fonctions urbaines en bassins dans un horizon de concurrence sinon mondiale, du moins européenne. Et c’est, de ce point de vue, Lisbonne qui a le mieux tiré son épingle du jeu.

Autre problématique majeure, les services périphériques de Porto et les secteurs industriels sont trop peu exigeants en services supérieurs fixant l’emploi, renforçant l’urbanisation au mauvais bénéfice du sprawling et de l’emploi diffus. Ceci accentue une structure métropolitaine en réseau de pôles secondaires étanches et en concurrence avec le pôle central. Pire, ce réseau ne dépend pas vraiment de Porto et peut se faire tirailler par des villes réellement en concurrence avec la métropole comme Braga, ou même comme Vigo en Espagne.

Dès lors, le modèle de métropole de Porto se rapproche de la mégapole rhénane ou lilloise, selon un système de conurbation. Porto est une ville-région éclatée, ce qui semble incompatible avec une métropolisation forte : la métropolisation est donc inachevée. Cela entraîne des phénomènes d’exclusion sociale, un manque de rayonnement de fonctions supérieures et un manque d’emplois supérieurs ou qualifiés qui ne peuvent se fixer à Porto. D’autre part, les industries, trop spécialisées, sont un risque en cas de crise sectorielle et entraînent une forte dépendance face à l’extérieur. Porto subit, pour Alvaro Domingues (2004) un double caractère périphérique, au Portugal et à l’Europe.

Dès lors, plutôt qu’une métropole polycentrique, Porto est parfois considérée comme une tache urbaine diffuse et étalée. Pour autant, en contrepoint, l’avenir pourrait n’être pas aussi pessimiste que certains analystes le pensent : la complémentarisation des villes de l’aire métropolitaine, le poids démographique de 3 millions d’habitants, la dynamisation par la proximité de villes comme Braga ou Aveiro pourrait changer considérablement la donne sur le moyen terme, si les enjeux d’aménagement, de lecture du territoire et d’institution poursuivent le changement initié en 1990 à travers le programme national de la politique d’aménagement du territoire (PNPOT). La prise de conscience est réelle. Simplement, le temps de la ville est toujours plus long que le temps de l’habitant…

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